INTRODUCTION

La douleur antérieure sous-acromiale liée à un conflit représente un motif de consultation particulièrement fréquent. Ce concept de conflit sous-acromial a été décrit depuis de nombreuses décennies, initialement par Codman, ensuite par Charles Neer. Ils ont montré que le conflit résultait d’une compression de la coiffe des rotateurs sur l’arche coraco-acromiale lors de l’élévation du bras.

(Images extraites du livre de G. Lajtai, S.J. Snyder, G.R. Applegate, G. Aitzetmüller et C. Gerber (Eds), Shoulder Arthroscopy and MRI Techniques, Springer, 2003)

L’acromion, avec le ligament acromio-coracoïdien (Le LAC) qui s’insère sur son bord antérieur, constitue une voûte ostéofibreuse avec laquelle la face superficielle des tendons de la coiffe des rotateurs entre en contact, de façon ajustée, mais physiologique lors des mouvements de l’épaule et notamment lors de l’élévation du bras. Ce passage est facilité par l’existence d’une bourse séreuse, interposée entre cette voûte et la face superficielle de la coiffe.

(Images extraites du livre de G. Lajtai, S.J. Snyder, G.R. Applegate, G. Aitzetmüller et C. Gerber (Eds), Shoulder Arthroscopy and MRI Techniques, Springer, 2003)

Lorsqu’on analyse l’évolution de l’anatomie scapulaire des hominoïdes, la voûte sous-acromiale humaine se distingue de celle des grands singes par son étroitesse. Ceci est explicable à la fois par l’étroitesse de la fosse supra-épineuse et la largeur de l’acromion. D’un point de vue biomécanique, du fait de la disparition de la brachiation et de la latéralisation de la glène, le membre supérieur humain fonctionne en chaîne cinématique ouverte, ce qui expose la tête humérale à des phénomènes de décentrage. En flexion du bras, un contact entre la coiffe des rotateurs et la voûte acromiale apparaît donc normal.

PHYSIOPATHOLOGIE

De façon physiologique, en permanence, il existe un contact entre la coiffe des rotateurs et l’arche coraco-acromiale lors des différents mouvements de l’épaule, et la coiffe des rotateurs agit en prévenant la survenue d’un conflit sous-acromial (CSA).

Conflit sous-acromial (images arthroscopiques) : 

 

On peut dès lors comprendre que de nombreux facteurs peuvent influencer la physiologie de ce plan de glissement.

  • Facteurs osseux : orientation, position et morphologie de l’acromion, séquelles post-fracturaires du tubercule majeur. La présence d’un os acromial mobile peut également constituer un facteur aggravant. A l’inverse, la position de la coracoïde ne semble pas être un facteur favorisant.
  • Facteurs dégénératifs : une ostéophytose sous-acromiale, une arthrose acromio-claviculaire.
  • Facteurs ligamentaires : un ligament acromio-coracoïdien (LAC) court, inférieur à 2 cm, semble associé à un conflit sous-acromial (CSA). Indépendamment de ces facteurs anatomiques, des éléments dynamiques peuvent être impliqués. En effet, il ne faut pas raisonner uniquement en termes de forme acromiale mais également analyser la position de l’acromion. Kibler a développé le concept de syndrome sous-acromial fonctionnel secondaire à une dysfonction scapulaire. L’absence de tonus musculaire périscapulaire pourrait être à l’origine d’une horizontalisation du rebord acromial indépendamment de sa forme. Une cyphose dorsale peut majorer l’instabilité scapulo-thoracique et favoriser une dérotation externe de la scapula et l’apparition d’un conflit secondaire. Une diminution du tonus musculaire global chez une personne âgée peut également favoriser une ascension de la tête humérale. Un dysfonctionnement de la coiffe (déséquilibre musculaire, état dégénératif progressif du tendon) influencera également l’équilibre physiologique de ce plan de glissement.

Il est important de connaître et d’intégrer ces nombreux facteurs dans la genèse d’un conflit sous-acromial. Ceux-ci peuvent être isolés voire associés. Les implications thérapeutiques en sont importantes lorsque les éléments dynamiques sont essentiellement impliqués, la prise en charge sera exclusivement fonctionnelle, basée sur un rééquilibrage et un renforcement de l’ensemble des muscles du massif de l’épaule (muscle de la coiffe des rotateurs et fixateur scapulaire).

RAPPEL ANATOMIQUE ET BIOMECANIQUE

L’acromion, facteur extrinsèque du conflit sous-acromial décrit par Neer, a été pendant longtemps le coupable tout désigné des ruptures de coiffe. L’analyse radiologique de cet acromion se fait sur le cliché de face en rotation neutre et sur le profil de coiffe. C’est sur cette dernière incidence que Bigliani et Morrison ont décrit une classification très connue et très employée.

  • Stade I : lorsque l’acromion est plat.
  • Stade II : lorsque l’acromion est courbe
  • Stade III : lorsque l’acromion est crochu

(Image extraite du livre de G. Lajtai, S.J. Snyder, G.R. Applegate, G. Aitzetmüller et C. Gerber (Eds), Shoulder Arthroscopy and MRI Techniques, Springer, 2003)

Ils ont montré que le pourcentage de rupture de coiffe était d’autant plus important que l’acromion était de stade élevé. Ils en ont conclu, sans doute un peu hâtivement, que la forme de l’acromion était responsable d’une rupture de la coiffe des rotateurs justifiant l’indication d’acromioplastie.

Cependant, de nombreuses analyses récentes de l’anatomie de l’acromion nous ont permis d’établir des nouveaux concepts concernant les rapports entre l’acromion et la rupture de coiffe ainsi que l’indication de l’acromioplastie.

ROLE DE L’ACROMION

Outre son implication dans la constitution de la voûte acromio-coracoïdienne, le rôle principal de l’acromion est de livrer insertion au deltoïde, muscle essentiel de l’épaule. Ce muscle joue, comme nous le savons, un rôle majeur dans l’élévation du bras. Au début du mouvement, lorsque le bras est le long du corps, la force qu’il exerce sur l’humérus est essentiellement une force d’ascension verticale de l’humérus. Cette force est contrecarrée par l’action synergique des muscles de la coiffe des rotateurs (supra-épineux, infra-épineux et sous-scapulaire) qui maintient la tête centrée en face de la glène. Plus l’abduction progresse et moins la force d’ascension du deltoïde est grande, devenant une force de coaptation gléno-humérale. Cette notion communément admise n’est pas tout à fait représentative de la réalité.

(Image extraite du livre de V. Vuillemin, F. Lapègue, P. Collin, M-M. Lefèvre-Colau, T. Moser, P. Meyer, C. Cyteval, P. Teixeira, N. Sans et A. Cotten, L'épaule du classique à l'inédit, Sauramps Médical, 2016)

En effet, dans sa partie moyenne, le deltoïde est tendu entre le bord latéral de l’acromion et la face externe de la diaphyse humérale. Lors de ce trajet, il enveloppe le tubercule majeur ("wrapping angle" des anglo-saxons) sur lequel il exerce une pression d’autant plus importante que le débord latéral de l’acromion est faible. Cette pression sur le tubercule majeur augmente les forces de coaptation gléno-humérale au début du mouvement.

A l’inverse, si le débord latéral de l’acromion est important, la pression du deltoïde sur le tubercule majeur est plus faible et la force développée par le muscle est alors une force essentiellement ascendante à laquelle doivent s’opposer les muscles de la coiffe des rotateurs pour maintenir le centrage de la tête humérale.

Le rôle de la voûte ostéofibreuse acromio-coracoïdienne est de s’opposer à l’ascension de la tête humérale lors de l’élévation du bras et le tendon supra-épineux est le plus exposé à cette pression entre la tête humérale et la voûte acromiale.

Ainsi, la forme et surtout la taille de l’acromion, notamment dans sa partie latérale, apparaissent être un élément important de la dynamique du deltoïde. 

ANALYSE RADIOLOGIQUE DE L’ACROMION

Cliché de profil : agressivité du coin antéro-inférieur de l’acromion : index de Park.

C’est sur cette incidence que Bigliani et Morrison ont décrit leur classification. Néanmoins, cette classification est peu reproductible et perturbée dès qu’il existe une ossification du ligament acromio-coracoïdien.

L’index de Park a été décrit en 2001 comme une méthode fiable et reproductible pour déterminer le caractère agressif de l’acromion. Il consiste à comparer les distances entre le centre de la tête humérale (point O), les coins antéro (A) et postéro-inférieurs (B) de l’acromion par rapport au fond de l’acromion (C). On distingue plusieurs types :

  • type I : point C sur la ligne AB
  • type II : OA supérieur ou égal à la distance OC
  • type III : OA inférieur à OC

(Image extraite du livre de V. Vuillemin, F. Lapègue, P. Collin, M-M. Lefèvre-Colau, T. Moser, P. Meyer, C. Cyteval, P. Teixeira, N. Sans et A. Cotten, L'épaule du classique à l'inédit, Sauramps Médical, 2016)

La concordance inter et intra-observateur est bien meilleure que celle utilisée par la classification de Bigliani qui ne doit plus être utilisée aujourd’hui. Néanmoins, cette classification est peu utilisée en pratique courante.

Radio de face : notion de couverture latérale de l’acromion

Ce concept a été développé ces dernières années par l’équipe de Christian Gerber et correspond à la position latérale de l’acromion par rapport à la glène. Biomécaniquement, la force de contraction du muscle deltoïde lors des mouvements d’abduction peut être décomposée en une force verticale d’ascension (Fa) et une force horizontale de compression (Fc). Si l’acromion est court, il existe une augmentation relative de Fc par rapport à la composante Fa et donc une tendance à l’omarthrose centrée. A l’inverse, si l’acromion est long, on a une verticalisation des fibres du deltoïde et une augmentation relative de Fa par rapport à Fc.

 

(Images extraites du livre de V. Vuillemin, F. Lapègue, P. Collin, M-M. Lefèvre-Colau, T. Moser, P. Meyer, C. Cyteval, P. Teixeira, N. Sans et A. Cotten, L'épaule du classique à l'inédit, Sauramps Médical, 2016)

Index acromial

L’index acromial est le rapport entre la distance GA mesurée de la glène osseuse (G) au bord latéral de l’acromion (A), et la distance GH mesurée de la glène osseuse (G) au bord latéral du tubercule majeur (H). Selon l’étude de Nyfeller, un index élevé représente un facteur de risque de rupture de coiffe. La valeur moyenne de l’index est de 0.73 dans le groupe des larges ruptures de coiffe, de 0.6 dans le groupe omarthrose avec coiffe normale et de 0.64 dans le groupe asymptomatique.

 

(Image extraite du livre de V. Vuillemin, F. Lapègue, P. Collin, M-M. Lefèvre-Colau, T. Moser, P. Meyer, C. Cyteval, P. Teixeira, N. Sans et A. Cotten, L'épaule du classique à l'inédit, Sauramps Médical, 2016)

Angle critique de l’épaule (CSA)

Le CSA (critical shoulder angle) ou angle critique de l’épaule a été décrit par Moor. C’est l’angle entre la droite passant par la glène et celle unissant le coin inférieur de la glène et le versant latéral de l’acromion. Selon cette étude, la valeur moyenne de l’angle chez les patients asymptomatiques est de 33°, alors qu’elle est de 38° dans le groupe des patients présentant une rupture de coiffe et de 28° dans le groupe des patients présentant une omarthrose. Les avantages du CSA par rapport à l’index acromial sont la prise en compte de l’orientation de la glène et le caractère indépendant par rapport à la morphologie de la tête humérale.

(Image extraite du livre de V. Vuillemin, F. Lapègue, P. Collin, M-M. Lefèvre-Colau, T. Moser, P. Meyer, C. Cyteval, P. Teixeira, N. Sans et A. Cotten, L'épaule du classique à l'inédit, Sauramps Médical, 2016)

Echographie du ligament acromio-coracoïdien

On va rechercher particulièrement la présence d’un épaississement sur son versant acromial et un enthésophyte. Un LAC (ligament acromio-coracoïdien) court inférieur à 2 cm est souvent évoqué comme facteur de risque mais rarement retrouvé. Des manœuvres dynamiques peuvent se révéler utiles voire indispensables par échographie. Il est important de réaliser les manœuvres réputées douloureuses de façon active (car la contraction musculaire intervient dans le mécanisme de conflit).

CONCLUSIONS

Le diagnostic de conflit est essentiellement clinique et l’imagerie permet de décrire un certain nombre de signes non spécifiques. Seule l’échographie peut objectiver un accrochage douloureux sous l’arche acromio-coracoïdienne du fait de son caractère dynamique. Les autres examens permettent d’exclure les principaux diagnostics différentiels et de rechercher des facteurs favorisants. Sur la radiographie standard de face, l’extension latérale de l’acromion doit être décrite au quotidien grâce à la mesure de l’angle CSA, de profil la classification de Bigliani ne doit plus être utilisée, l’index de Park se révèle le plus intéressant pour analyser le caractère agressif du coin antéro-inférieur de l’acromion mais il est rarement utilisé. Le CSA apparaît comme un élément constitutionnel. Il est fortement corrélé à la présence d’une rupture de coiffe des rotateurs dès qu’il dépasse 35° et d’une arthrose gléno-humérale dès qu’il est inférieur à 30°. Ainsi, à partir d’une observation biomécanique radiologique simple, sur des clichés standard, l’analyse de l’acromion latéral permet de prévoir l’avenir de l’épaule et au minimum son exposition au risque de rupture au contraire de l’arthrose.

Il semblerait que la part constitutionnelle du problème est l’acromion latéral. Il donne au deltoïde un pouvoir ascendant prédominant dès que son débord est important.

La coiffe souffre, la tête a tendance à monter et la voûte reçoit des contraintes plus élevées, responsables de modifications morphologiques et notamment d’un enthésophyte de traction.

Avec l’âge mais aussi avec les contraintes professionnelles, l’acromion s’allonge et se courbe. C’est la part acquise du problème.

Le contact entre voûte et coiffe qui est normalement physiologique devient alors symptomatique et l’acromion peut être coupable de l’agression vis-à-vis de la coiffe et plus particulièrement du supra-épineux qui est le plus exposé à la pression contre l’auvent acromial en cas d’ascension de la tête humérale.